CISCOBLOG
LE SITE D'UN GRAPHOMANE IMPENITENT ET INTERMITTENT


jeudi  

bonsoir. Je relaie directement la trouvaille d'Emmanuelle.net, voici le plus petit site du monde, il y a tout, comme chez les grands, même un jeu de ping pong... Rien d'autre pour ce soir. Bye

posted by grossmann francis | 5/30/2002
 

Suite de l'histoire de Magali

C'était dans le train. Magali se rendait à Nantes, invitée par une ex belle sœur. Jenny était montée en cours de route. Les deux jeunes femmes avaient vite sympathisé. La conversation avait d'abord été joyeuse et enjouée mais, de fil en aiguille, comme cela arrive dans ces états de disponibilité à l'autre qui sont comme des états de grâce, favorisés peut-être par le défilement sans fin de la campagne par la fenêtre, le rythme rassurant des roues sur les rails et le cocon du compartiment, elles en étaient venues à se raconter l'une à l'autre avec plus de gravité. Jenny avait parlé de sa vie de galère, sans travail, dans la région parisienne et Magali lui avait raconté les violences de sa récente séparation. Le voyage fut assez long pour qu'elles se trouvassent des douleurs partageables et une amitié soudaine. Jenny parlait, sans trop y croire, de descendre dans le Sud avec son petit garçon et sa petite fille, Magali rêvait d'une maison sans hommes, pleine de complicité féminine et de bruits d'enfants. Quand le train s'arrêta en gare de Nantes, ce fut comme un retour sur terre en navette spatiale. Il fallut se séparer. Magali donna son adresse de Passa à Jenny, l'invita avec les enfants et lui dit qu'elle pourrait rester, si elle voulait, le temps de démarrer une nouvelle vie. Elles se séparèrent en souriant et se dirent chacune pour elle-même que les rêves ne se réalisent pas toujours, mais savait-on jamais. Magali retourna à Passa. Elle ne pensa plus à Jenny. La vie continua. Quelques semaines plus tard, elle reçut des nouvelles : Jenny se disait prête à franchir le pas et demandait si l'invitation tenait toujours. Magali l'invita à venir dès qu'elle pourrait. Elle prépara la maison, aménagea une chambre, installa des lits dans celle des filles. Elle leur annonça l'arrivée prochaine de deux petits copains, et puis on attendit. Un jour, les petites, qui jouaient dans la ruelle virent stopper, avec des hoquets de moteur épuisé, une vieille R12 couverte de poussière et pleine à raz bord de passagers et de bagages. Pas question d'aller plus loin, l'auto était au bout du voyage. Tout d'abord, rien ne bougea. L'auto les regardait avec des yeux torves sans parvenir à reprendre souffle, puis elles entendirent s'élever le vrombissement du ventilateur sous le capot fatigué, comme un sombre présage. Au bout d'un moment, l'auto laissa une maman et un papa s'extraire avec peine de son dedans. Les petites eurent un mouvement de recul et ramassèrent leurs jouets. Un petit garçon et une petite fille suivaient en titubant un peu, arrachés au sommeil. La petite fille pleurnichait en serrant son nounours. C'était les petits copains. Le papa prit la petite fille dans ses bras et le petit garçon attrapa le bas de la jupe de la maman. L'auto resta en arrière, sagement, sans chercher à suivre. La maman leur demanda si leur maman à elles était là. Sans répondre, elles se précipitèrent à l'intérieur en criant "Les copains, les copains! Ils sont arrivés, les copains!" Magali sorti à la rencontre de Jenny. Elles s'embrassèrent. Jenny présenta Philippe, son nouveau compagnon. Elle ne lui en avait jamais parlé, ni dans le train (mais il n'existait peut-être pas encore à l'époque) ni dans ses lettres, ni au téléphone. Philippe se présenta avec un grand et franc sourire. Quand il y en avait pour trois, il y en avait pour quatre, ce n'était pas plus compliqué que ça, se dit Magali. Et la vie s'organisa dans la grande maison, pas tout à fait comme Magali l'avait prévu, mais bon. Les enfants s'entendaient bien. L'intégration en cours d'année à l'école ne posa pas trop de problèmes, même si les deux petits semblaient arrachés à un monde qu'ils ne parvenaient pas encore à oublier. Magali, en revenant du travail le matin, préparait le petit déjeuner des enfants, et leur faisait leur bise au lit en y partant le soir, laissant, la nuit, à Jenny et Philippe, le soin de veiller sur la marmaille endormie tout en filant le parfait amour. Le matin, dans la maison vidée de ses petits écoliers et rendue au calme des pierres, Magali s’endormait, sous le coup de onze heures et de la fatigue accumulée, en caressant le chat devant la cheminée de la cuisine et Jenny et Philippe émergeaient tout joyeux de leur grasse matinée. On ne déjeunait pas. Le petit déjeuner de Magali était le goûter des enfants et le brunch des parents. Les vacances de Pâques arrivèrent. Magali eut des congés. Jenny et Philippe tardaient un peu à trouver du travail, et même à en chercher. A vrai dire, c'était pour eux comme des vacances enfin, des vacances qu'on pouvait faire durer presque autant qu'on voulait. Ç’était comme un bonheur insoutenable, un cadeau somptueux, pas très bien gagné. Souvent, ils partaient dans la campagne, pour de longues virées d’amoureux, se tenaient par la main au milieu des vignes, marchaient le long des plages désertes, s’enfonçaient dans des vallées arides et inconnues, ils dégottaient des troquets perdus dans des villages aux maisons de pierres où ils se faisaient reluquer par en dessous par les joueurs de cartes ou les oisifs des comptoirs. La nature et l’étrangeté des gens du cru entretenaient l’illusion que rien ne pouvait leur arriver sur cette terre promise et que quelque chose pareil à la manne du ciel, chiche mais suffisant, ne les abandonnerait pas. Ils rentraient au crépuscule, en retard, Magali les attendait pour partir au travail. Les petits, qui les avaient eux aussi attendus depuis le retour de l’école, se jetaient dans leurs bras avec des larmes qu’ils ne comprenaient pas.

posted by grossmann francis | 5/30/2002


mercredi  

Comme ceci est un weblog, je vais l'utiliser comme un weblog. Ainsi, seront mis en lignes ici des infos, des textes, des liens, bref tout un tas de choses que j'aurai glané dans l'actualité comme on dit, sur le net ou pas (cela contribuera peut-être à rendre ce site un peu moins nombrilique...) On commence donc par un texte lu dans "Le Monde" ce soir :

Le sacrifice de Geetaben, hindoue amoureuse d'un musulman

Le massacre de musulmans par des nationalistes hindous au Gujerat a été perpétré avec la connivence des autorités locales et couvert par le gouvernement central. Le "Times of India" s'indigne


En inde , philosophiquement et même littéralement, la mort fait partie de la vie. Chaque matin, on peut voir dans la presse la valse macabre des morts. Elle est devenue si habituelle que, le plus souvent, on saute les pages sur les calamités naturelles et les horreurs commises par l'homme. Jamais les journaux indiens n'ont publié plus d'articles à faire frémir que lors des événements de février au Gujerat. Jamais ils n'avaient été contraints d'utiliser des mots comme pogrom, holocauste ou nettoyage ethnique pour décrire un acte de violence sociale.

On se rappelle ce qui s'est passé dans cet Etat quand un train rempli d'activistes hindouistes a été attaqué, non sans provocation, par une foule de voyous soupçonnés d'être musulmans, qui y ont mis le feu, brûlant vifs 58 passagers, hommes, femmes et enfants. La vengeance des hindous n'a pas été spontanée mais organisée avec l'aide du gouvernement local de l'hindouiste Narendra Modi. En deux jours, deux mille musulmans ont été tués, leurs maisons et leurs commerces réduits en cendres. Ce qui a le plus choqué, ce fut l'implication des autorités dans ces crimes. Des ministres furent postés dans les salles d'opération, non pour faire appliquer la loi mais pour s'assurer que la police n'interviendrait pas durant le déchaînement hindouiste. Et on meurt toujours au Gujerat.

L'autre aspect de cette tragédie fut la nature de la violence elle-même : d'un sadisme démoniaque, impensable. Dans le Times of India, Siddharth Varadarajan a bien saisi la nature de cette tragédie à la manière de Dickens dans son Histoire de deux villes, sous le titre d'Histoire de deux hindous. Il commence la première histoire en décrivant une photo : "Sur un ruban d'asphalte poussiéreux gît le corps nu d'une femme, Geetaben. Un morceau de sous-vêtement traîne à proximité de son cadavre tandis que sa main serre désespérément les autres. Ses bras et son torse sont couverts de sang. (...) Au centre du cliché on remarque un tesson de brique, rouge, rempli de haine, peut-être celui avec lequel ses assaillants lui ont assené le coup fatal."

LE PREMIER MINISTRE EN CAUSE

"Geetaben a été tuée le 25 mars à Ahmedabad[capitale du Gujerat]. C'était une hindoue qui, aux yeux des hindouistes qui gouvernent cet Etat, avait commis le crime capital de tomber amoureuse d'un musulman. Quand le Sangh Parivar[mouvement extrémiste hindouiste] est venu le chercher, elle s'est interposée pour lui permettre de fuir. Elle fut traînée dehors, déshabillée et tuée. (...) Geetaben, ajoute l'auteur, c'était "la reine de Jhansi" [une héroïne nationale] du Gujerat, sa "Pasionaria". Car, même dans ta mort, avec ton corps innocent ensanglanté avec tes vêtements arrachés, tu as fait preuve de plus de courage, d'humanité, de dignité et de fidélité à la religion hindoue qu'Atal Bihari Vajpayee au cours du mois passé. (...) Quand arrivera le jour du jugement, personne n'osera te demander où tu étais quand le Gujerat était en feu !"

Varadarajan compare cette histoire avec celle d'un autre hindou, d'un autre citoyen de l'Inde qui, au contraire de Geetaben, jouit d'une position estimable, le premier ministre du pays, dont certains pensaient qu'il était plus ouvert d'esprit que les nationalistes qui l'entourent. En effet, l'autre histoire a pour site Goa, où M. Vajpayee, revenant d'une visite au Gujerat pour y exprimer sa peine, s'adresse à un meeting de nationalistes hindous.

"Quand j'ai entendu ce qu'il y a dit, j'ai eu la même nausée qu'en découvrant la photo de Geetaben. Ce qu'il a déclaré à ses fidèles partisans faisait froid dans le dos : "Où qu'ils soient, les musulmans ne veulent pas vivre en paix avec les autres !" En temps ordinaire, de tels propos seraient inexcusables. Mais quand on pense qu'il parlait ainsi du massacre de deux mille musulmans - en plus devant un public qui jugeait ce génocide justifié - on ne peut qu'être rempli d'horreur. (...) Dans le camp de réfugiés musulmans de Shah-e-Alam, il avait dit que les émeutes avaient fait honte à l'Inde. Mais ses propos à Goa nous ont encore plus couverts de honte", conclut, non sans tristesse, le plus prestigieux quotidien indien.

Vijay Singh


posted by grossmann francis | 5/29/2002


dimanche  

Bonsoir, que pensez vous de ma nouvelle mise en page ? Style, Non ? le problème est que je n'ai pas encore résolu la question des largeurs mais ce n'est peut-être pas si grave, isnt'it ?

posted by grossmann francis | 5/26/2002
 

Bonjour, voici un pème, oui un poème de Jean Pierre Veerheggen tiré de On n'est pas sérieux quand on a 117 ans :

l'otaire, comme disait mon voisin wallon Jacques Kewaert ! L'otaire pour désigner le notaire ! Oui ! L'otaire, Jean-Pierre. Comme si quelque vieux maître cabotin élevait des otaries dans son étude transformée en aquarium de parc d'attractions locales ! J'aime beaucoup cette hypothèse ! Imaginer, comme lui, le béniste moins benêt qu'il n'y parait, en train de vendre des beignets pour arrondir ses fins de mois difficiles ou le chevin délaissant son importante fonction scabinale pour aller à la pêche aux chevesnes ! Le mailleur passant, sans discontinuer, des casseroles de cuisine au remaillage des bas nylon de la maîtresse de maison et l'unismate, tel un unijambiste du ciboulot, n'ayant plus qu'une bosse des maths comme l'ancien chameau d'Apollinaire devenu le dromadaire de Don Pedro

Je pense sincèrement que la poésie débute là et nulle part ailleurs. Dans cette gaucherie apparente ! Dans cette maldresse géniale. Ainsi l'un des plus beaux poèmes que je connaisse a-t-il pour auteur mon ami Jean-Michel Pochet ! Il est extrait de l'aube titre et a paru, il y a belle lurette, dans la bibliothèque Phantomas, à Bruxelles.

Le voici :

L'aube
La petite aube
L'aubette.
La cause
la petite cause
la causette
La tape
la petite tape
la !

Non ! Ce serait trop facile ! et Jean-Michel Pochet de reprendre :

L'aube
la petite aube
l'aubette.
La cause
la petite cause
la causette.
La tape la petite tape
son frère !

Merveilleux, non ?

La poésie est toute entière dans cette "inattente" ou plutôt cette inattention soutenue qui fait, par ailleurs, que le poète peut rendre tout possible ! Par exemple, inventer, en ces temps de crise, de véritables métiers d'avenir, tels : négociant en virages ou porteurs de toasts ; économe d'efforts ou employé aux temps et aux modes demandés ; doreur de pilule ou dompteur de nerfs ; guide bleu ou serrurier dans les brancards ; facteur décisif ; enseigne de vaisseau sanguin ; éleveur de bon pied ou capitaine l'âge ; luthier gréco-romain ; navigateur de conserve ; cuistot colomb ou herboriste vian ; tailleur de croupières ; tourneur de veste ; monteur sur ses grands chevaux ; serveur de chaperon ; veilleur au grain ou surveillant de régime ; gardien de distances ; faussaire de compagnie ; trieur sur le volet ; tenacier à carreaux ; piqueur de colère ; raboteur de budget ; livreur de battailles ; ouvreuse d'horizon ; ménagère de chèvre et de chou ; laveur d'affronts ou fondeur en larmes ; assureur de haute considération ; coiffeur de Sainte Catherine, friseur d'apoplexie ou raseur de murs-gratis ! masseur Anne ou mercier petit Jésus ; chanteur Malbrouk ou chauffeur Marcel, voire brosseur Marx ! Oui ! comme lesMarx Brothers !


Je ne sais pas si ça vous fait le même effet, mais ça me donne envie de me rouler par terre de rire. Si vous voulez en savoir plus sue ce genre de poésie je vous recommande de cliquer sur ce lien de toute urgence. A bientôt





posted by grossmann francis | 5/26/2002
 

25.5.02
La grande vague de mélancolie qui montait depuis un instant venait de le submerger. Une idée semblait surnager. Une idée qui, comme souvent, n'avait rien à voir avec les causes directes de la mélancolie : il se dit que, pour lui, l'écriture était liée à la conversation. Il ne pensait pas à ces conversations qui sont des échanges d'idées plus ou moins brillants entre professionnels ou à ces conversations entrecroisées lors de soirées avec des amis, mais bien plutôt aux conversations banales de tous les jours, aux conversations téléphoniques, aux échanges sur les résultats du foot, sur la pluie et le beau temps, sur la gastronomie en mangeant à la cantine, à ces conversations qui montrent qu’un humain ne peut se juxtaposer à autrui seulement dans le silence. L'écriture était une déchirure du temps. Une initiative qui rompait un silence. La même que la sonnerie du téléphone, la même, inverse, que la décision de téléphoner, de prendre son téléphone, de composer le numéro, la même que prendre la décision de parler à son voisin dans un compartiment de train où dans une queue de cinéma, de rompre le silence pour faire connaissance ou pas, etc. Pourquoi à cet instant et pas à un autre ? Qu'est-ce qui rend soudain la nécessité de communiquer urgente alors que tout est calme, trop calme peut-être et que l'ennui n'est pas le temps vide de la mélancolie mais au contraire un trop plein qui ne peut s'exprimer, une attente d'être mis en mouvement, la constatation de mille potentialités non utilisées ? Il se rendait compte, au moins pour la centième fois, qu'il se mettait à écrire à un moment où il pensait ne pas en avoir envie du tout ou ne pas en être capable. L'évocation, dans la solitude, d'autrui, suffisait. Ecrire était un acte de communication différé qui ne violait l'intimité de personne. Ecrire était un acte non violent par essence car il aurait tout aussi bien pu prendre son téléphone, ou sortir dans la rue. Il se disait (mais il avait peut-être déjà lu ça quelque part) que comme l'amitié s'oppose à l'amour, la conversation s'opposait à l'interprétation silencieuse.



posted by grossmann francis 22:41
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En 1834, dans l'introduction aux trois volumes intitulés "Cent vues du mont Fuji, Hokusai écrit : "À l'âge de six ans, j'aimais copier la forme des choses et vers cinquante ans mes dessins étaient fréquemment publiés ; Mais jusqu'à l'âge de soixante-dix ans rien de ce que je n'avais dessiné n'était digne d'intérêt. À soixante-treize ans, je fus à peu près capable de me pénétrer de la croissance des plantes et des arbres, et de la structure des oiseaux, des insectes et des poissons. Ainsi, quand j’eus atteint quatre-vingts ans, j'espère avoir eu fait de croissants progrès, et à quatre-vingt-dix ans avoir vu u peu plus loin dans les principes sous-jacents des choses, si bien qu'à cent ans j'aurai atteint un stade divin de mon art et qu'à cent dix ans chacune de mes taches de couleur et chacun de mes coups de pinceau semblera vivant." La "grande vague" fait partie d'un premier recueil intitulé " trente-six vues du mont Fuji" et publié quelques années auparavant. C’est le dessin le plus célèbre d'Hokusai : on y voit la fameuse vague bleue dressée sur une hauteur formidable, surmontée d'une dentelle d'écume blanche, menaçante comme une bête fantastique, son mouvement comme figé à son acmé, laisser le passage à un frêle esquif qu'elle pourrait très certainement engloutir comme un rien et qu'on devine dans un creux dévoilant un bout de la côte, finalement toute proche, où se découpe au loin la silhouette si reconnaissable et si attendue du mont Fuji. À Fécamp ce jour-là, nous avions eu de la chance : le ciel était bleu rayé de longs nuages gris effilochés. La mer nous faisait fête, elle dépassait nos attentes, elle envoyait très haut ses éclats d'écume. Elle jetait ses grosses vagues couleur d’huître contre la jetée avec une constance enthousiaste et inébranlable. Il y avait d'abord un grand boum comme un coup de canon un peu assourdi. Une ou deux secondes après la gerbe d'écume éclatante de blancheur se dressait, comme un monstre débonnaire, défiant un moment les lois de la pesanteur. Elle s'y soumettait ensuite, faute de mieux, et retombait non sans avoir copieusement éclaboussé la petite casemate derrière laquelle, toute petite, ravie mais pas trop téméraire, tu jouais à cache cache avec elle.






posted by grossmann francis 16:07
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Grande nouvelle. Je suis parvenu à découvrir et corriger la cause d'un Bug qui rendait ce site particulièrement confidentiel puisqu'on ne pouvait pas y accéder. La chose étant réparée j'attends vos visites par millions


posted by grossmann francis 15:41
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23.5.02
bonjour à tous et surtout à franklin Millner qui tout compte fait doit être mon seul lecteur (exceptée Laurette Alhalel qui malheureusement n'a toujours pas réussi à se connecter sur ces pages malgré ses louables efforts)


posted by grossmann francis 00:34
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22.5.02
Je cite Alain Fleisher, dans les Trapézistes et le rat : "Un jour des amants sont ensemble dans un lit et se donnent du plaisir et ne savent pas que c'est la dernière fois. S'ils le savaient, d'ailleurs, de tels moments seraient invivables, et nul ne pourrait y survivre. Mais il y a une injustice à ne rien savoir, qui fait que ces instants de la dernière fois, de la dernière étreinte, du dernier baiser, des dernières paroles échangées, du dernier regard, ne sont pas vécus avec la violence tragique qui fait que nous mourrons chaque jour de toutes ces morts-là, dans une totale indifférence. Un accident, la maladie, un brusque changement de situation, un revirement de fortune, une circonstance imprévue, un voyage fortuit, un coup du sort, et tout ce qui devait continuer et se répéter s'arrête d'un coup, prend fin pour toujours, laissant sans suite et parfois sans souvenir, sans mémoire précise, une fois qui devient alors la dernière". Ce sont ces derniers mots qui m'impressionnent : "parfois sans souvenir, sans mémoire précise". Je n’ai effectivement plus la mémoire des dernières fois où j’ai fait l’amour avec les amantes dont je suis séparé. Même si le souvenir de leurs formes, de leur souffle, de leur odeur, de leurs gestes, de leur regard ou leur manière de le détourner, de leurs caresses préférées, de leurs moiteurs, de leurs baisers et du goût de leur bouche reste encore vif ; même si, bien sûr, j’ai encore le souvenir d'émouvantes étreintes, des moment et des endroits précis où elles se sont déroulées, de l' émerveillement de nos désir et de nos jouissances, du bruit de nos grognements, plaintes soupirs et cris entremêlés, des glissements, frottements, écrasements, empoignades et promesses presque tenues de dévorations et d’engloutissements, de mots obscènes prononcés comme des ordres ou des supplications, je reste incapable de me souvenir de chaque dernière fois. Ça en dit long à la fois sur l'amour, la mémoire et le deuil. Tout à l’inverse, je me souviens très bien des premières fois, même si certaines furent uniques. Il me suffit souvent d’évoquer le souvenir d’une amante, même si mes pensées ne sont pas à priori d’ordre érotique, pour vivre à nouveau notre première étreinte : je me souviens des vêtements, des lieux, des surprises de la découverte des corps, du grain de la peau. Je me souviens de juste avant, des mots prononcés et du décor qui bascule et de cette plongée dans un « plus rien ne sera comme avant », dans un irrémédiable qui renforce un désir pourtant déjà à son acmé. Je me souviens de juste après, dans le désordre et l’essoufflement, les rougeurs et les pudeurs qui reviennent et où, justement, tout est exactement comme avant, et rien encore irrémédiable, avec cette tendresse et ces regards émus en plus. Il n’y a pas d’amante dont je ne me souvienne pas de la première fois, et il n’y a pas d’amante dont je me souvienne de la dernière. Ce n’est pas seulement que le désir s’émousse, comme si les corps anticipaient la rupture déjà présente, et que l’acte perde sa force d’évocation future, car souvent la flamme brûle toujours et la séparation n’est pas forcément due à une lassitude des corps, loin de là. Car si la première fois inaugure un « plus rien ne sera comme avant » souvent trompeur, la dernière fois n’inaugure rien : on ne sait pas que c’est la dernière fois, et c’est pour cela qu’on l’oublie et c’est ce qui est tragique. La première fois ouvre sur un avenir possible, des promesses d’accordage, d’aventure partagée, de démultiplication du plaisir qu’on peut imaginer infinies ; la dernière n’est qu’une parmi d’autres qui aurait pu être l’avant dernière ou une avant mille autres et que ma mémoire n’a fait que retenir comme telle. Je me souviens de dix fois qui pourraient être la dernière, mais d'une seule qui est la première.





posted by grossmann francis 23:34
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19.5.02
Je n'ai jamais pu écrire à la main. A la main, vous vous souvenez ? les stylos, l'encre, le papier ? Bleue, noire, voire violette, l'encre. Le papier, feuilles "volantes" ou cahiers, voire carnets ou blocs d'écriture, vierges, à lignes ou à petits carreaux, vélins, vergers, ordinaires ou autres Clairefontaine. J'ai tout essayé : stylos à bille et stylo "à plume", stylo à "plume" à réservoirs ou stylo à "plume" à cartouches. Rien n'y a fait. Pendant longtemps j'ai essayé les stylos de marques différentes, espérant dénicher la plume idéale, le "corps" qui tient bien dans la main, le "clic" plus ou moins distingué ou plus ou moins sensuel du capuchon, Waterman, Schaeffer, ou Parker et autres Mont blancs. Offerts aux anniversaires ou aux étrennes, aussitôt perdus après avoir montré leur imperfection. Achetés aussi, souvent très cher, dans le but auto-persuasif et méthode Coué d'éviter de les perdre ou de les oublier, mais perdus tout de même (aucun n'a pu rester plus de quelques mois) avec pratiquement aucun regret. N'utilisant alors que les Bics à trois francs ou les "Cristal" à deux, les perdant tout autant et en achetant plusieurs par semaines. Décidant alors de le voler, ramassant sans vergogne tous ceux qui passaient à ma portée, connu comme le "dangereux voleur de stylos" et les perdant eux aussi encore et toujours. J'ai cru au miracle à l'apparition des premiers rollers, hybrides entres les billes et les plumes, mais j'ai vite déchanté car le problème, finalement, j’ai fini par me l’avouer, n'a jamais été un problème de "matériel". Ni de stylo, ni de papier. Pas que cette grave infirmité n'ait eu son origine dans je ne sais quelle "crampe de l'écrivain" chronique et répertoriée par la science neurologique. Pas que ce défaut inavouable ne m'ait jamais empêché de rédiger mes copies d'examens, remplir mes déclarations d'impôts, ciseler mes billets doux, ou envoyer mes cartes postales de vacances. Pas que je n'aime pas écrire, comme beaucoup de gens, qui s'en tiennent à une expression écrite paresseuse et minimale. Au contraire, j'adore. Je peux même dire que l'écriture tient une place essentielle dans ma vie et dans mon imaginaire, comme on s'en est peut-être aperçu en parcourant les deux cent cinquante pages qui précèdent et le nombre encore ignoré de moi, au moment ou ces mots s'inscrivent sur mon écran, de celles qui suivent. Je peux même dire que je suis un véritable graphomane, un obsédé textuel, un scribouillard invétéré. Mais jusqu'à ces quelques dernières années il m'était tout simplement impossible d'écrire à la main, au moins durablement, ce qui est très étonnant quand on connaît le plaisir quasiment sensuel qu'éprouvent mes congénères à manier stylos, humer encre et lisser feuilles de papiers. Le pire est que j'éprouve moi-même ces plaisirs, mais que la cause ma difficulté à écrire "à la main" est encore plus forte que ceux-ci. La voici, cette cause, cette fameuse cause : je ne supporte pas les ratures. C'est tout simple, voyez-vous, mais rédhibitoire. Alors que d'autres les chérissent, en jouissent, les dédoublent ou les triplent, raturant les ratures de leurs ratures, amoureux de leurs pages surchargées et presque illisibles et considérant que leurs biffures sont les égales de leur sang, de leur sueur, les scories de leurs efforts, les strates géologiques de leur pensée, l'archéologie de leur créativité, les traces émouvantes de leur "work in progress", je les abhorre et les ai en horreur. Les ratures me terrifient et surtout me paralysent. Elles me font perdre mes moyens. Pour moi, la page écrite doit être propre, nette. La rature est un lit défait sous les yeux d'un visiteur attendu, le truc dévoilé du tour de magie raté devant des enfants confiants, l'aveu d'un cheminement qui n'est que besogneux. "Mettre au propre" m'importe plus qu'enjoliver mes brouillons. Dans les temps obligés de l'écriture "à la main", je faisais une consommation insensée de papier : je n'ai jamais dit que je ne corrige pas, que je ne reprends pas. Il est clair que je ne prétends pas voir ma phrase apparaître toute faite sur le papier telle Minerve tout armée sur la cuisse de Jupiter. Je suis comme les autres, je bégaie, j’ai sur le bout de la langue, je cherche le mot juste et ne le trouve pas, j’ahane, je m’arrache les cheveux, je polis, je cisèle, donne un petit coup de pinceau par-ci, un petit coup d'archet par-là, je coupe, je retranche, j’ajoute, j’empile. Mais c'est à chaque fois sur le "propre". Une seule rature et je recommence toute la page : ça prend du temps (recommencer) et de l'argent (des kilos de papier). C'est une infirmité, il n'y a pas d'autre mot. A la fin, même, il arrive que je renonce et quitte le texte, définitivement insatisfait. Quand la rature vous attache au texte, la remise au net perpétuelle finit par vous le faire quitter. L'invention du traitement de texte a tout changé. Je peux à la fois corriger, recorriger (je viens de le faire, juste à l’instant, vous n’allez pas me croire, "en temps réel", avec délice et vous ne vous en n’êtes même pas aperçu) et écrire en un propre perpétuel, immaculé, faussement mais délicieusement vierge, un texte tout prêt à imprimer qui semble enfin tenir, qui n’échappera pas et n’ira pas se perdre dans les méandres des hésitations infinies. Dieu a créé le traitement de texte pour mon seul usage. Merci mon Dieu.


posted by grossmann francis 23:37
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je commence ici la publication de l'Histoire de Magali. A ce jour, je ne l'ai pas encore toutà fait achevée.
Elle paraîtra en plusieurs épisodes, selon mon humeur.

Histoire de Magali



Dans ses entretiens avec E. Roudinesco, Derrida parle de l’hospitalité : « accueillir, de façon inventive, en y mettant du sien, ce qui vient chez soi, ce qui vient à soi, inévitablement, sans invitation. » Il oppose l’Hospitalité « pure », « inconditionnelle », l’hospitalité « absolue », à l’hospitalité « conditionnelle » ou « d’invitation », celle des « lois » de l’hospitalité. Il dit que l’hospitalité juste (l’inconditionnelle) rompt avec l’hospitalité de droit ; non qu’elle la condamne ou s’y oppose, elle peut au contraire la mettre et la tenir dans un mouvement incessant de progrès, dit-il, mais il affirme en même temps qu’elle lui est aussi étrangement hétérogène que la justice est hétérogène au droit dont elle est, dit-il encore, pourtant si proche et « en vérité, indissociable ». Les lois de l’hospitalité s’adressent à un étranger, pourvu d’un nom de famille, d’un statut social, qui est justement celui d’étranger. En revanche, l’hospitalité absolue exige que nous ouvrions notre chez-nous à un autre absolu, inconnu, anonyme, et que nous lui donnions lieu, comme il dit, que nous le laissions venir, que nous le laissions arriver et avoir lieu dans le lieu que nous lui offrons sans lui demander réciprocité, sans lui demander d’entrer dans un pacte ni même son nom. Il dit de très belles choses, que l’hospitalité ne s’offre pas mais qu’elle se rend, comme la justice, ou qu’elle se donne, comme une femme ou comme un mystère. Il parle aussi de toute la violence qu’il y a là-dedans, l’histoire des filles de Loth, etc. Le récit qui va suivre est une histoire vraie : Magali habitait seule à Pacca, un petit village catalan, avec ses deux filles, Cléo et Cynthia qui avaient dix et huit ans. Magali faisait l'infirmière de nuit pour pouvoir s'occuper des deux petites le jour. Ses horaires de travail lui permettaient tout autant de les mettre au lit le soir, de leur raconter une histoire, de leur faire leurs bisous pour la nuit, de se sauver à la clinique ou à l'hôpital, que de les réveiller le matin, de leur préparer leur petit dej' et de les emmener à l'école. Après quoi elle pouvait s'endormir pour récupérer de fatigues de la nuit, ou pas. Elle ne dormait pas beaucoup en ce temps là, pour dire le vrai. La nuit, une voisine ou une copine venait dormir chez elle pour veiller sur le sommeil des petites. Il y en avait même que ça arrangeait parfois, elles restaient plusieurs nuits de suite, rendant ce petit service contre un hébergement temporaire. On s'arrangeait sans façons et tout le monde y trouvait son compte. d'ailleurs, Magali était connue aux alentours, dans les petits villages, pour sa gentillesse, sa disponibilité et son sens de l'accueil. Il y avait toujours une petite vieille qui avait besoin d'une piqûre, ou un gosse qui s'était fait une bosse en tombant d'un arbre, ou un travailleur saisonnier qui ne pouvait pas se payer le médecin et qu'elle dépannait en médicaments de première nécessité. Elle hébergeait volontiers des copains en difficulté, ou des copains de copains, ou des copains de copains de copains, voire des inconnus sympathiques, la maison était assez grande, et elle ne demandait rien d'autre en échange que de veiller la nuit sur les deux fillettes endormies. Etrangement, pourrait-on dire, cela se passait toujours bien, mais pas si étrangement que ça, car Magali était vraiment douée pour l'accueil, même si les baby sitters du moment pouvaient être des toxicomanes pas tout à fait désintoxiqués, ou des percussionnistes sans emploi un peu paumés. On n'avait pas envie de faire du mal à Magali, encore mois à ses filles, et elle maîtrisait de son côté parfaitement les lois de l'hospitalité. Elle savait se monter ferme et poser des conditions claires et acceptables. Elle savait donner, donner lieu, sans se laisser envahir ou déborder. C'est une sorte de don, tout le monde n'en est pas capable, on fait généralement une ou deux expériences qui tournent à la catastrophe et on se promet de ne plus jamais recommencer. Pour la plupart des gens la question de l'accueil tourne très vite à celle du parasite, par exemple. Pas pour Magali, elle ne se trompait pas sur les gens. Quand elle sentait, toujours assez à l'avance, que les choses pouvaient mal tourner, elle s'arrangeait pour mettre fin au contrat tacite avec un tact et une délicatesse qui ne lui attira jamais aucun ennui. Un jour donc, et c'est là que commence vraiment notre histoire, elle rencontra Jenny.







posted by grossmann francis 23:06
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11.5.02
"Tender", un "tender". Nom commun, masculin singulier. Qui emploie encore ce mot aujourd'hui ? Dans le livre de Marcel Cohen, "Faits. lectures courantes à l'usage des grand débutants" qui consiste en une suite de courts textes apparemment sans liens entre eux, mais qui, à la manière du puzzle perecien, dévoilent petit à petit la sensibilité, les souvenirs et la vie de leur auteur, et qui, à des année lumières du genre romanesque, pourraient ressembler à ce que je tente de faire modestement en ces pages, je lis le mot "tender". L'auteur est un homme de mon âge ou peut-être un peu plus vieux. Le mot apparaît dans le dernier fragment du livre. Marcel Cohen y décrit avec un grand bonheur d'écriture un souvenir de petit garçon qui se tient sur le pont de l'Europe, immortalisé comme chacun sait par un célèbre tableau de Claude Monet ou d'Edouard Manet, et qui se laisse envelopper avec griserie par la fumée des machines à vapeur qui passent sous le pont avant de gagner le large : "Les pistons lâchaient leur exhalaison d'huile chaude. Mêlée à la petite traînée de poussier arraché au tender, elle n'était perceptible qu'après coup, comme le sillage odorant d'un animal." Le texte joue subtilement sur l'analogie entre la bouffée de fumée brûlante que dégage le monstre métallique et une bouffée de souvenir associée à cette odeur complexe que Marcel Cohen décrit avec tant de précision. Il décrit en même temps l'émotion qui lui est immanquablement attachée. En l'occurrence, c'est le sentiment d'héroïsme, pour le petit garçon qu'il était, d'oser approcher de si près de tels monstres et de supporter leurs terrifiantes manifestations. On s'amuse de cet héroïsme puéril, mais surtout, on prend conscience, comme par la bande, de la disparition définitive des locomotives à vapeur. le texte induit à la fois exaltation jubilatoire et nostalgie irrémédiable. A un autre endroit du livre, Marcel Cohen écrit : "Alors que les être et les choses témoignaient sans relâche de sa présence au monde et qu'il lui semblait, jour après jour, apprécier un peu mieux son sillage parmi eux, un homme découvre que tout ne répète plus, désormais, que sa propre absence. Quand, et comment, cette inversion s'est-elle opérée ? Il serait bien incapable de le dire. Certes, si douloureux soit-il, et contre toute apparence, ce sentiment d'une perte est peut-être la preuve d'un regard plus aigu, auquel cas il n'avait à peu près rien vu jusque là, se dit-il. Et, à plus forte raison, comment aurait-il pu deviner ce qu'il expérimente maintenant tous les jours : que la beauté, alors même qu'on la touche, et déchirante comme un adieu et qu'un visage ami est parfois plus douloureux qu'une plaie ouverte. Cependant cette homme va, vient et se dépense sans compter." C'est ce genre de douleur que me fait subitement ressentir la lecture du mot "tender". D'abord parce que, pendant un fragment infime de temps, ne le comprenant pas, j'ai cru à une coquille ou une faute d'orthographe ("poussier" aurait pu me faire le même effet, mais j'avais lu "poussière" et c'est un mot plus technique, sinon plus littéraire) puis ensuite, le comprenant, au contraire, je me suis aperçu en un éclair qu'il ne faisait plus partie de mon vocabulaire courant, comme on dit, de mon vocabulaire intime, alors qu'il en avait objectivement fait partie, un jour certes lointain, et que, je me souviens parfaitement de moi, petit garçon, allongé sur le linoléum de ma chambre d'enfant, en train d'accrocher le tender, empli de "poussier" de grésil et de houille concassée, le charbon, parfaitement bien imité, au millième, à la locomotive à vapeur de mon train électrique H.O. dont le mécanisme des bielles, parfaitement reproduit, m'enchantait. L'évanouissement du mot "tender" qui est, rappelons-le, celui qui désigne le chariot accolé à la loco et qui transporte sa réserve de charbon, d'où Gabin, par exemple, tirait des pelletées frénétiques dans la "bête humaine" de Renoir, sa disparition non seulement de ma langue intime, mais aussi de la Langue, la langue quotidienne, dont je prends conscience au moment même où il fait irruption à nouveau et peut-être pour la dernière fois devant mes yeux, crée en moi une émotion qui n'est en rien comparable à ce que des jeunes gens nommeraient, plutôt à juste titre, nostalgie snobinarde de certains mots vieillots, archaïsants ou de tournures anciennes qui ont été souvent remplacés par d'autres à l'instar de "courtepointe" par "dessus de lit", voire "culotte" par "slip" et "auto" ou "automobile" par "voiture", etc. Sans parler bien entendu des différences entre ce que les linguistes appellent des "niveaux de langue" : populaire, courant, familier, argotique, écrit, littéraire, administratif etc. La disparition de "tender" de mon dictionnaire intime tient à la disparition réelle des tenders de l'univers des choses vivantes. C'est la mort d'un mot dont je ne me suis souvenu que de justesse, de mon vivant, plutôt par hasard, pour l'avoir lu dans un livre, bien après le mitant de mon âge, où les trains ne sont plus à vapeur depuis longtemps. Je prononce "Tender" à haute voix, pour moi-même, tout seul : l'émotion est la même, avec un sentiment d'étrangeté indéfinissable. Il me rattache à mon enfance et un certain passé du monde. Je demande à Laurette si elle sait ce qu'est un "tender", elle me répond non. Elle semble se souvenir vaguement quand je lui parle des machines à vapeur et de charbon. Le mot est étranger à Nathan, aussi, qui n'a qu'une vague idée des locos à vapeur et même des trains électriques (ah bon, on jouait avec çà ?) Si j'interrogeais tout le monde à propos des tenders L'humanité se diviserait en deux : ceux qui se souviendraient du mot, me rassureraient sur la présence de mon passé, sinon celui du monde, et ceux à qui il ne dira rien du tout, nous rejetant, moi et ce monde, dans un passé révolu à tout jamais. L'étrangeté du mot, que je répète à haute voix, "tender", n'en est que plus forte. Existe-t-il, dans d'autres textes ou au fond de moi-même, d'autres mots semblables, enfouis, oubliés, et qui seraient empreints de cette même magie troublante, de cette beauté déchirante comme un adieu dont parle Cohen ? Je me promets de les relever bien précautionneusement s'ils viennent à ressurgir et d'en faire la collection, autant que faire se peut. "Tender".


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posted by grossmann francis | 5/26/2002
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